Welcome Back Home

15/07/2020

Et voilà, Vendredi 3 juillet, enfin de retour à la maison! Ce fut un moment chargé d'émotions auxquelles je ne m'attendais pas du tout. Je l'espérais avec beaucoup d'impatience mais aussi de craintes, car une fois sorti de la bulle du centre de rééducation, comment allait donc se dérouler ce retour sur mon passé, sur cette ancienne vie que j'avais quitté. Et comment allait s'amorcer la nouvelle. Toutes ces choses que j'étais capable de faire au quotidien et que je ne suis plus en mesure d'assumer donnent une grande part d'amertume à ce retour tant souhaité. Il faut encaisser encore, et découvrir ce nouveau statut de handicap. Je me suis bien dit, qu'il en aurait été de même si je m'étais fracturé une jambe et avais dû être immobilisé avec un plâtre pendant plusieurs semaines, mais malheureusement cette situation sera pérenne même si le port de ma prothèse améliorera considérablement mon autonomie et mes facultés. Et ce ne sera plus jamais comme avant...

Cette hospitalisation fut un épisode à la fois long et court. Court car pour une rééducation avec hospitalisation en temps complet dans un tel contexte médical peut paraître très court aux yeux de certains, y compris pour moi. Mais long, très long du fait de ce confinement que tout le monde a vécu.  Rester en partie seul avec moi-même pour appréhender cette nouvelle étape de vie si particulière n'a pas été chose aisée. Heureusement que l'équipe de rééducation qui me prenait en charge était si sympathique, empathique et bienveillante. Je ne pense pas qu'on puisse franchir le seuil d'un tel tournant de sa vie seul sans y aller à reculons, sans verser de larmes, ou tout du moins sans aucune inquiétude. Bien évidemment, chaque histoire est différente. Chaque individu a un vécu personnel, une identité, un caractère et une sensibilité qui lui sont propre entraînant des réactions totalement différentes et spécifiques à chacun d'entre nous. On apprend tant à se découvrir et à mieux se connaître dans ces circonstances si exceptionnelles. Nombreux sont ceux qui disent qu'après une telle épreuve on voit la vie autrement, pas forcément moins bien, même parfois mieux encore, avec plus d'intensité et de détachement, que cela procure à certains davantage de sens à leur vie. J'avoue qu'au point où j'en suis, je ne perçois pas encore toutes les subtilités de cette essence. J'ai appris beaucoup sur moi, mais aussi et surtout sur vous autres, vous qui m'avez soutenu et vous qui me soutenez encore inlassablement. Vous qui suivez mon parcours sur ce chemin de croix, dont chaque virage restera à jamais marqué par la crainte, l'espoir, l'incertitude, la déception, la détermination, mais aussi et surtout par l'Amour, l'amitié, le soutien, la bienveillance, l'empathie, la compassion, la générosité dont vous avez su faire preuve à mon égard et dont je vous suis infiniment reconnaissant, me touchant au plus profond de mon être, et me faisant souvent craquer émotionnellement. Mais ne voyez pas cela d'un mauvais oeil, car c'est grâce à vous et tous vos témoignages que je tiens si bien le cap. Car craquer, m'effondrer m'aide aussi énormément à évacuer les tensions psychologiques et émotionnelles qui s'accumulent au fil des jours, des semaines, et des mois. C'est pour moi à ce jour, avec un certain recul, une condition sine qua non à la bonne poursuite du voyage, au maintien du gouvernail vers la bonne destination. Cela me permet de réinitialiser ma pendule intérieure sur un rythme plus physiologique et cohérent. J'ai enchaîné tellement d’événements en presque un an sans avoir réellement pu prendre le temps de me poser et de me reposer que ces moments intimes et discrets ont eu et ont encore un rôle majeur dans mon équilibre émotionnel, transmutant cet acte que l'on pourrait qualifier comme une marque de faiblesse  en une force, classant les pages de ces chapîtres passés un peu plus vers le passé afin de mieux orienter ma boussole vers l'avenir. Alors merci, merci, merci encore, et n'hésitez surtout pas, continuez encore et encore,tant que vous le pouvez. Vous êtes mon horizon...


Quoi de plus agréable de retrouver sa famille, sa maison, son confort, et son lit? Passer une nuit entière sans être réveiller par les discussions des infirmières et aides soignantes qui travaillent dans les couloirs, les bruits de l'extérieur (à croire que l'épidémie du covid-19 a fait naître des discothèques en plein air au milieu de la zone commerciale de La Paluds, musique à fond jusqu'à bien 2 heures du matin...), et parfois les prises de sang à 6h du matin...). Enfin une bonne nuit réparatrice, et fini la chimie pharmaceutique qui m'a été si utile et indispensable jusqu'à mes nouveaux premiers pas. 

Enfin la liberté retrouvée, loin des masques "anti-respirants" qui me donnent chaque fois l'impression d'avoir un masque à oxygène lorsque je les retire à la fin des exercices de renforcement musculaire. Enfin le soleil, la lumière et l'air extérieur à respirer librement. Des plaisirs simples retrouvés et appréciés avec tant d'intensité.

Enfin regoûter aux plaisirs des contacts physiques, des embrassades et accolades avec la famille, les enfants, les amis; la reconnexion aux liens sociaux, à la VIE quoi!!


Ma rééducation quant à elle s'est poursuivie en hôpital de jour (HDJ) dès le lundi suivant. Changement d'équipe, du moins en partie, puisque je retrouve Fabien en tant que préparateur sportif qui m'avait coaché au début de mon hospitalisation à temps complet (du fait de la fermeture de l'HDJ à cause du Covid-19). J'apprécie beaucoup sa sympathie, et sa grande compétence à déterminer nos propres capacités individuelles, repoussant toujours plus nos limites dans le respect de notre intégrité.

Entrée en lisse de Laetitia, ma nouvelle kiné que j'avais tout de même eu l'occasion de croiser à de rares reprises dans le gymnase du temps plein. Avec elle, ça bosse!! Je comprends pourquoi elle est ici, rigoureuse, précise, exigeante... De fait, je me rends vite compte que je ne peux que progresser. On reprend les bases de la marche avec de nouveaux exercices pour travailler la stabilité en charge sur la prothèse, chose que l'on n'avait pas eu le temps de complètement approfondir avec Pina en temps plein du fait de l'échéance rapprochée de ma sortie. Je devais avant ça aborder en priorité les apprentissages fonctionnels au détriment de la précision car chez moi, j'allais être confronté à une forte pente pour accéder à l'entrée de la maison ainsi qu'aux escaliers pour monter à l'étage. Malgré tous ces efforts, cela ne m'évita pas quelques chutes, mais sans blessures fort heureusement. D'ailleurs, un jour, ce qui devait arriver arriva, découvrant pour la première fois l'instabilité de la marche sur terrain accidenté réparé d'amoncellements de gravats, je fis une chute directe et non équivoque sur la prothèse de genou, fragilisant l’ancre (pièce permettant la fixation du genou prothétique sur l'emboîture) et m'interdisant alors de continuer à marcher avec.  Mais grâce à la disponibilité et la grande réactivité de Thomas (ortho-prothésiste pour rappel), ce désagrément ne dura que le temps d'une journée et ne m'empêcha pas malgré tout de poursuivre mon travail rééducatif sans la prothèse.

Les progrès se ressentent rapidement à la fin de la semaine, bien qu'ils soient à mon goût entachés rapidement par les variations de volume de mon "mignon", mon moignon par  "o"mission. C'est Marie-Noël, une autre patiente en temps complet, amputée fémorale comme moi qui m'a donné cette idée. N'appréciant pas non plus le terme "moignon", elle avait décidé de l'appeler "ma beauté", ce que j'ai trouvé original et plus sympathique. Utiliser l'alchimie des mots pour mieux l'accepter et s'accepter, quoi de plus ingénieux! D'autant plus que ceux qui ont connaissance et conçoivent volontiers que les mots ont un pouvoir et un impact énergétique non négligeable voir même très important sur les choses comprendront aisément qu'il est tout à fait judicieux et bénéfique de nommer une partie de son propre corps avec un nom à connotation positive. Et puis comme on dit, et puisque c'est concrètement le cas, "Tout ce qui est petit est mignon"... 

Ce qui est à ce jour démoralisant pour moi est la quantité d'efforts à déployer pour effectuer ne serait-ce qu'une simple marche de 1 km sur un terrain à peu près plat. Car si sur mes deux jambes, avant cela me semblait plat, aujourd'hui mes perceptions sont complètement différentes et bien lointaine du plat absolu du sol de nos maisons et du gymnase de rééducation. En réalité, rien n'est plat, des trous des bosses, des faux-plats qui montent et qui descendent à peine, mais qui rendent la marche beaucoup plus complexe et m'obligent à scruter les moindres variations du sol afin d'anticiper et adapter ma démarche. Et ceci est d'autant plus vrai que la partie haute de la pente se situe du côté de la jambe prothétique. Tout effort est démultiplié! Un kilomètre m'a semblé être une randonnée de 3 heures alors que je ne viens de faire que 20 minutes d'efforts. Certes, le soleil cognant de 12h30 en plein été n'aura rien arrangé, car associé à la transpiration et la diminution de volume du mignon, un "pistonnage" intempestif du manchon dans l'emboîture sur un air de"pschitt"  itératif et cadencé d'amortisseur pneumatique rend le contrôle de la prothèse beaucoup plus compliqué et éreintant. Mais la faim justifiant les moyens à la pause déjeuner, mon estomac aura eu satisfaction de ce périple. Agréable découverte des hamburgers du Memphis Coffee (à 900 mètres à pied de La Bourbonne) avec délicieuse glace Ben & Jerries débordante de crème fouettée pour récompenser mes efforts!!! 😋🤩🤭 Par contre mes ambitions futures de GR20 elles, en ont pris un sacré coup...


Demain, ce jeudi 16 juillet, une autre étape très attendue depuis plusieurs jours arrive à point nommé. Le passage à une emboîture sous vide est enfin là.  Thomas ayant reçu aujourd'hui mon nouveau manchon, nous allons procéder au moulage de mon mignon pour la fabrication d'une nouvelle emboîture sur mesure. Bientôt fini le système de fixation à sangles scratch KISS du manchon dans l'emboîture. Le système sous vide est sensé améliorer considérablement le contrôle de la prothèse et réduire toutes les contraintes de positionnement du manchon sur le mignon, car avec le système KISS, si on ne centre pas parfaitement le manchon sur le milieu de cuisse, même de quelques millimètres vers l'extérieur ou l'intérieur , les sensations, comportements et positionnement de la prothèse ne sont plus les mêmes. Un gros avantage donc de confort et de précision en perspective, même si le summum sera l'implantation de ma future prothèse de genou électronique C-Leg d'Ottobock, mais ça, ce sera encore une autre histoire!!!


Portez-vous bien, et profitez bien de ce bel été sans oublier bien entendu d'appliquer les gestes barrière qui s'imposent malheureusement encore.

A bientôt!
 

PS : Je ne croyais pas si bien dire, vraiment comme sur des roulettes,  avec parfois les chutes qui vont avec... 😅